Est-Congo : l’intervention humanitaire dévoyée

9/08/2013
9/08/2013

Supposée combattre les viols et les mutilations sexuelles qui affligent l’est du Congo à grande échelle depuis près de vingt ans, la communauté internationale aura mobilisé un corps expéditionnaire considérable de maintenant vingt mille hommes, dont une brigade de trois mille avec mandat offensif, qui vont paradoxalement se battre en soutien des forces génocidaires rwandaises FDLR-interahamwe et de leurs alliés, les milices Maï-Maï et l’armée congolaise des FARDC, qui sont les principaux auteurs de ces violences sexuelles.

Supposed to fight rape and sexual mutilation plaguing eastern Congo on a large scale for almost twenty years, the international community has mobilized considerable expeditionary force, now twenty thousand men, including a brigade of three thousand with offensive mandate, in support of the FDLR-Interahamwe Rwandan genocidal forces and their allies, the Mai-Mai militias and the Congolese army FARDC, who are the main perpetrators of sexual violence.

Le 22 juin 2013 restera dans la mémoire du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce jour-là, l’actrice Angelina Jolie, considérée comme "l’actrice la plus influente du monde" au dernier classement de sa profession, se montrait plus puissante que jamais personne ne l’aura été, en dictant ce qu’il devait faire au gouvernement mondial.

Il faut écouter son speech et admirer l’assurance, l’autorité avec laquelle celle-ci explique aux quinze membres du Conseil de sécurité que "lutter contre la violence sexuelle" est de leur "responsabilité".

L’actrice n’aura pas ménagé ses interlocuteurs : "si les agresseurs restent impunis, c’est parce que vous l’avez laissé faire". "Le Conseil de sécurité doit agir et procurer un leadership et une assistance", ordonnait-elle, consciente de ce qu’"il n’y a pas de plus grande puissance dans le monde". "Si le Conseil des sécurité des Nations unies considère le viol et l’agression sexuelle comme un priorité", "des progrès seront faits", conclut-elle.

Sur la thématique des viols, l’ambassadrice de bonne volonté du HCR omettait d’évoquer le scandale des viols systématiques, institués comme méthode para-policière, au Caire, place Tahrir, mais elle mentionnait le drame de la Syrie, ayant rencontré des réfugiées, victimes de la barbarie des troupes gouvernementales. Mais elle aura aussi omis de rappeler que, pour mettre un terme à la catastrophe humanitaire syrienne, il faudrait d’abord faire cesser les bombardements, tels ceux qu’elle a pu entendre, lors de sa visite, de l’autre côté de la frontière, en Jordanie, où elle se rendait en tant qu’"ambassadrice" onusienne.

Car le vrai sujet était ailleurs, et l’actrice la plus populaire aurait aussi bien pu féliciter le Conseil de sécurité, en train de mettre en place une brigade d’intervention offensive à l’est de Congo, avec l’intention déclarée de combattre les viols et mutilations sexuelles dont les femmes et les filles de la région sont victimes depuis près de vingt ans – ainsi devenus cause commune planétaire.

Cette mission "offensive", découlant de la résolution 2098 votée en mars par le même Conseil, a pour mandat de combattre "les forces négatives", au premier rang desquels est désigné le M23, alors même si ceux qu’on identifie comme les principaux responsables des viols et mutilations sont leurs adversaires des forces génocidaires, FDLR, ou les troupes de l’armée nationale, les FARDC, dans lesquelles ces criminels rwandais sont largement implantés. (Soulignons que les mutilations procèdent de l’intention de stériliser – conçue comme génocide à retardement.)

Après la star de Hollywood intervenait une autre femme, actrice d’un autre genre, la porte-parole du gouvernement français et ministre des droits des femmes, Mme Najat Valaud-Belkacem. Celle-ci ne tarda à évoquer le cœur du sujet :

"En République démocratique du Congo, en dépit de la mobilisation de la communauté internationale, les violences sexuelles restent omniprésentes."

C’est en effet en RDC que les Nations unies ont mobilisé une des plus importantes force de "maintien de la paix" jamais réunie, plus de vingt mille hommes, dont trois mille constituent cette "brigade offensive", opérationnelle à partir de ce mois de juillet. Cette opération extrêmement coûteuse depuis une dizaine d’années – on l’évaluait à 1,5 milliard de dollars par an –, aura été récemment amplifiée, avec l’ajout de cette force « offensive » de 3000 hommes, décidé par la résolution 2098. Votée en mars dernier, à l’unanimité du Conseil de sécurité, cette résolution faisait suite à une pétition internationale, publiée quelques mois plus tôt, pour Noël, le 25 décembre 2012.

Madame Valaud-Belkacem s’était abstenue à l’époque, mais on trouvait parmi les signataires de cette extraordinaire pétition aussi bien l’ancien champion du monde de boxe, Casius Clay – converti à l’islam sous le nom de Mohammed Ali –, que le premier des indignés – alors encore vivant –, Stéphane Hessel, comme l’homme à qui on prête d’avoir aboli la peine de mort en France, Robert Badinter, ou l’ancien président du Sénégal, Abdou Diouf – présentement secrétaire général de la francophonie –, et même un congolais, supposé bien connaître le sujet, le docteur Mukwege – qu’on dit nobellisable –, en plus de Jacques Chirac et de Valérie Trierwieler – symbolisant l’union sacrée de la droite et de la gauche –, et la ministre de la francophonie, Yamina Benguigui, laquelle quelques mois plus tôt intervenait devant l’Assemblée générale des Nations unies, pour “informer” les représentants de tous les pays du monde :

"Aujourd’hui, en RDC sévit le M23, un groupe de rebelles armés qui a consciemment planifié une nouvelle arme de guerre, l’utilisation des violences sexuelles contre les femmes : enlevées dans leurs villages, elles sont violées, torturées, mutilées, leurs enfants sont enrôlés dans l’armée."

Lorsqu’elle prendra la parole, à la suite d’Angelina Jolie, devant le Conseil de sécurité, Najat Valaud-Belkacem se devra d’être plus nuancée quant à l’attribution de ces violences sexuelles :

"Commises par toutes les parties, elles se perpétuent aussi bien au sein du M23 que des forces armées congolaises. Le drame de Minova, au sud-Kivu, où plus de 130 femmes ont été violées en novembre 2012 par des soldats des Forces armées de la RDC censés les protéger, nous a rappelé cette brutale réalité."

"La France continuera à œuvrer pour que les responsables de ces crimes et leurs commandants soient poursuivis et punis", précisait la ministre utilement, car ce n’était pas l’impression qu’avait donné le Français qui dirige les forces de maintien de la paix, M. Hervé Ladsous, en refusant de répondre aux questions de Matthew Lee, de l’agence Inner city press, lequel demandait avec insistance ce qu’allait faire l’Onu avec ces troupes identifiées de violeurs, divisions d’élite des FARDC dont la formation aura été soignée et qui participent, en première ligne, aux actuelles opérations militaires contre le M23.

Matthew Lee aura récemment réalisé une compilation, échantillon des multiples dénis de réponse auxquels il se confronte systématiquement. Attitude qui semble prendre sa source dans le fait qu’il ait interrogé M. Ladsous sur son rôle en 1994, en tant que représentant de la France au Conseil de sécurité, alors que celui-ci prenait des décisions aussi graves que la réduction drastique du nombre de casques bleus présents à Kigali, en plein génocide.

Pire encore lorsqu’il sera demandé à M. Ladsous s’il avait pris des mesures vis-à-vis des unités de l’armée congolaise responsables du dernier épisode de viols massif, à Minova, qu’évoquait la ministre. Le 391e bataillon de l’armée congolaise est clairement identifié comme responsable de ces viols. Or, il se trouve que ce 391e bataillon a fait l’objet récemment d’une formation spéciale dispensée par l’armée américaine. Et ce serait des soldats du même 391e bataillon qui ont commis le mois derniers des profanations de cadavres présentés comme ceux de soldats du M23.

Quelques sanctions auraient été prises, contre des officiers, l’identification des responsables directs étant trop difficile, selon le gouvernement congolais – et il n’y aurait que deux soldats incriminés. Les analystes n’excluent pas que ces officiers aient été mis à l’écart pour d’autres motifs, le président Kabila étant justement en train de procéder à de multiples mises à pied dans le corps des officiers, semble-t-il pour écarter tout risque de putsch.

Pour Gérard Araud, l’ambassadeur français au Conseil de sécurité, le 391e bataillon des FARDC est « la meilleure unité » de l’armée congolaise, « qui n’a pas tant de bonnes unités », dit-il.

Daté du 14 mars 2013, un rapport sur la question des violences sexuelles était annexé à la résolution 2098 par laquelle l’Onu décidait de doter la Monusco d’une brigade d’intervention offensive destinée à combattre « notamment » le M23. Ce rapport, en anglais, recensant les viols dans la région, attribuait 50% des cas documentés en 2012 aux FARDC, auxquels il fallait ajouter ceux commis par la police nationale congolaise ou par l’ANR – la sinistre Agence nationale du renseignement, la police secrète de Kabila qui procède quotidiennement à des rafles de « rwandophones » à Goma et Bukavu. La plupart des autres cas recensés sont attribués aux FDLR-interahamwe et à leurs alliés Maï-Maï.

Le M23 et d’autres groupes sont également mentionnés pour une très faible part des viols recensés, mais quand on sait combien il est fréquent que le M23 soit accusé de choses qu’il n’a pas commises, il n’est même pas exclu que les cas de violence sexuelle qui lui sont attribués ne le soient du fait de cette propension à recourir à la diffamation comme première arme de guerre. Mais peut-être la justice permettrait-elle d’y voir plus clair ?

Justement, cette semaine, une nouvelle pétition est lancée par 52 personnalités féminines parisiennes, professeures au Collège de France ou ex-ministres, pour appeler à la création d’un Tribunal pénal international spécifique pour traiter de cette question des violences sexuelles commises dans l’est du Congo.

Faut-il s’en féliciter ? A ce jour, toutes les appels internationaux du genre ont abondamment été abreuvées par la rhétorique anti-M23, anti-rwandaise et anti-Tutsi. Au résultat un corps expéditionnaire international, muni de drones et de réels moyens a été mis sur pied pour appuyer les Forces armées de RDC, avec leurs alliés FDLR et Maï-Maï, contre le M23. Il y a là manifestement contresens. Ainsi, sous prétexte de lutter contre les violences sexuelles, on en vient à… soutenir les violeurs ! Pire encore, on se retrouve en appui aux forces génocidaires qui relèvent déjà de la justice internationale.

On sait aussi combien un Tribunal pénal international peut être une moquerie, ainsi qu’on a vu le TPIR ne juger que des responsables africains – exonérant les évidentes responsabilités françaises –, pour finalement relaxer des génocidaires avérés, y compris des membres du gouvernement génocidaire rwandais, ainsi que cela s’est produit, en cour d’appel, l’année dernière.

Quant à nos pétitionnaires, on peut regretter qu’elles fassent référence au rapport « Mapping », dont les méthodes et la présentation ont été sévèrement critiquées, par exemple pour avoir complètement omis le rôle de la France dans la période observée – 1993-2003 –, ni même mentionné l’opération Turquoise de l’été 1994 pourtant à l’origine de la déstabilisation de l’est-Congo que ce rapport prétend étudier. Le caractère partial d’un tel rapport n’augure certes pas du meilleur pour la justice qu’il dit appeler de ses vœux et que nos pétitionnaires revendiquent à leur tour.

Mais ne désespérons de rien. Une véritable justice devrait permettre de sortir du tunnel de la propagande sans fin à laquelle on est soumis. Les accusations contre le M23 ramenées à ce qui peut se prouver devant une chambre judiciaire, voilà qui détendrait l’atmosphère... Et un tribunal qui jugerait des crimes des FDLR et des FARDC – voilà qui ferait certainement progresser la justice en RDC – et qui travaillerait à un minimum de sécurité pour les femmes. Encore faudrait-il que les enquêtes soient menées avec un peu plus de sérieux que celle de l’armée congolaise qui a fini par inculper deux soldats pour les 135 viols recensés à Minova…

Le plus effroyable dans cette affaire, c’est de voir comment toutes les meilleures intentions du monde se retrouvent instrumentalisées par le parti raciste – pour la pire cause du monde. Angelina Jolie comme les 52 parisiennes réclamant un TPI, ou même les notabilités planétaires qui signaient Noël dernier, comme Yamina Benguigui ou Najet Valaud-Belkacem à la tribune de l’Onu, toutes et tous partent d’une saine indignation face à l’horreur des viols massifs, et surtout des effroyables mutilations sexuelles, banalisées au Kivu depuis près de vingt ans. Lorsque, pour répondre à l’appel de la vedette d’Hollywood et aux propos de la ministre française, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité une résolution sur les violences sexuelles dans les conflits, il ne pouvait que bien faire.

On pourrait presque dire que la résolution 2098 instituant une brigade offensive est compréhensible : lorsqu’on en est à mobiliser 17000 hommes pour rien, année après année, depuis une dizaine d’années, on voit bien comment le constat de leur impuissance aura incité à en mobiliser trois mille de plus avec mandat de régler le problème en un an.

Que trouver à redire ? Le scénario est parfait. Faut-il voir là une application du diction qui veut que le diable se niche dans les détails ? Un subtil glissement, ou une grossière manipulation, comme on voudra, aura simplement permis de dévier la cible. C’est loin le Congo… au cœur des ténèbres photographié jadis par Conrad. « On baigne en pleine négritude », disait jadis le commandant Faulques, à la tête des Affreux qui soutenaient la sécession de Tshombe au Katanga. Ministres ou journalistes, les rares qui font le voyage partent, toutes et tous, comme Stanley à la recherche de Livingstone. A l’arrivée, on aura confondu, aboutissant au consternant résultat d‘apporter cette brigade offensive en soutien actif aux FARDC, FDLR et Maï-Maï, auxquels sont attribuables l’essentiel des violences sexuelles qu’on voudrait combattre…

Ce qui n’est pas un détail – et qu’on n’a pas le droit de faire mine de ne pas entendre –, cela aura été l’intervention à un Conseil de sécurité suivant consacré au Kivu, le 25 juillet, du ministre des affaires étrangères de la RDC, M. Raymond Tshibanda, qui dénonce sans détour ces « rébellions » « qui portent toutes la même signature génétique » !

Ainsi enrôlée pour la cause indiscutable de la protection des femmes, la communauté internationale se retrouve dans la curieuse situation non seulement de soutenir les principaux responsables des violences qui leurs sont faites, mais de la faire au service d’un racisme radical dont on a déjà pu voir les conséquences funestes, il y a vingt ans au Rwanda.

[Source : l’Agence d’Information]

Mis en ligne par L’Agence d’information
 9/08/2013
 http://www.lagencedinformation.com/017-est-congo-l-intervention.html
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