20 / 01 / 2010
« La Nation est en danger ». Avec ce slogan en guise de signature, l’appel de la coalition des partis de l’opposition politique avait été rédigé samedi 17 octobre, suite à l’adoption par la chambre basse du Parlement d’une nouvelle loi électorale prévoyant l’organisation d’un recensement avant les scrutins de 2016 concernant les législatives et la présidentielle. Une mesure susceptible d’assurer le maintien au pouvoir du président Kabila pendant les trois ou quatre ans nécessaires à l’identification des populations, alors que le chef de l’Etat est en train d’exercer son dernier mandat et doit quitter ses fonctions en décembre 2016. Un coup d’Etat constitutionnel selon les adversaires de l’actuel locataire du Palais de la Nation, qui ont décidé de mobiliser la population le lundi 19 pour une marche pacifique qui aurait dû se conclure au Palais du Peuple pour manifester conte l’adoption de la loi controversée par les sénateurs.
Avant l’aube du 19, policiers et militaires ont pratiquement assigné à résidence les leaders de l’opposition, empêchés de sortir de chez eux ou du siège de leur organisation. Madame Marie-Jeanne Kambeye, vice-présidente de la Fédération nationale des femmes de l’UNC de Vital Kamerhe a été séquestrée chez elle avec un cadenas qui bloquait son portail.
Cependant, à partir de huit heures, les gens ont commencé à descendre dans la rue, notamment dans les quartiers de l’est. Peu après, à Ndjili, au quartier 4, les premiers coups de feu ont été entendus. La volonté des forces de l’ordre de disperser les manifestants avec des tirs à balles réelles s’est manifestée lors des premiers affrontements et a immédiatement fait face à une résistance inattendue. A l’Université, les échauffourées ont été particulièrement violentes et, malgré les premières victimes, les étudiants ont réussi à se dégager pou se rendre au rond point Ngabo et prendre la direction du Palais de la Nation.
A neuf heures du matin, alors qu’une bonne partie de la ville est paralysée, l’électricité a été coupée, sauf dans les zones résidentielles, et les SMS brouillés. Le député de l’opposition Martin Fayulu twitte : « Nous sommes dehors avec des milliers de Congolais et nous irons jusqu’au bout ». Le PPRD, le parti de Joseph Kabila, enregistre la défection de l’un de ses députés, Kolombo. Vers dix heures, les étudiants se battent devant l’Intendance et lorsque l’avion du président angolais Dos Santos se pose sur le tarmac de l’aéroport international de Ndjili, Kinshasa est en état pré-insurrectionnel. Invité dans le cadre d’un échange bilatéral, celui-ci fera part à son hôte, selon l’une de nos sources diplomatiques, du devoir de respecter la Constitution et le droit de manifester.
A onze heures, on compte une dizaine de morts parmi les manifestants qui continuent à occuper la rue, notamment au rond point Ngaba, au Stade des Martyrs et à Bandalungwa. Dans plusieurs endroits, la police recule, comme plusieurs vidéos témoignent. En riposte, le déploiement de la Garde Républicaine se fait massif, preuve du manque de confiance du pouvoir pour certaines unités de la police et pour l’Armée régulière. En témoigne la décision de désarmer les militaires du camp Kokolo.
Selon la même source, « Paradoxalement, la réussite de la mobilisation doit moins à l’appel de l’opposition qu’à l’intervention de vendredi 16, sur les ondes de RFI, de M. Mende, porte-parole du gouvernement, où il affirmait que la présidentielle aurait pu se tenir en 2017, et que ’’le ciel ne serait pas tombé sur la tête’’ du pouvoir… Il a peut être parlé trop vite et c’était en tout cas la première fois que de voie officielle, on annonçait le glissement du calendrier électoral. Les Kinois sont ainsi descendus si nombreux dans la rue pour manifester leur ferme opposition au maintien au pouvoir de M. Kabila ». Le même Mende prend la parole à 14h17 à la Radio Télévision Nationale Congolaise pour commenter les événements en faisant état d’une « manifestations de casseurs » et annoncer l’arrestation des leaders de l’opposition. Il nie, contre toute évidence, l’usage d’armes à feu par la force publique, ce dont relatent les médias internationaux. On peut ainsi lire dans une dépêche de RFI que « le moindre rassemblement a été dispersé par la police et de façon brutale. La police a même tiré à balle réelle sur les manifestants ». Une déclaration de l’ambassade des Etats-Unis à Kinshasa souligne le devoir « de garantir à tous les citoyens le droit de se rassembler pacifiquement et d’exercer leur droit de liberté ».
En fin d’après-midi, le calme revient sur la ville. Nombreuses sources, dont la Démocratie Chrétienne, parti d’opposition dont le leader, Diomi Dongala, est depuis longtemps aux arrêts, font état d’une trentaine de victimes. La coalition des partis de l’opposition convoque une réunion pour le lendemain afin de programmer la suite des manifestations. Une décision qui ne semble pas à la hauteur d’une situation qui aurait demandé le maintien de la pression face au pouvoir visiblement ébranlé par les manifestations. C’est ainsi que pendant la nuit, les hommes de l’Agence nationale de renseignements (ANR) procèdent à l’interpellation des dirigeants de l’opposition, dont Jean-Claude Muyambo et Vital Kamerhe. Mardi matin, au réveil, les Kinois se rendent compte de ne pas pouvoir utiliser Internet, ni les SMS dans leurs portables. Les rues des certains quartiers, surtout dans les communes orientales, se remplissent à nouveau, mais les manifestations, sporadiques, ne prennent pas l’ampleur d’hier. Néanmoins, vers 14h00, la radio onusienne Okapi titre : « Nouveaux incidents à Kinshasa entre policiers et groupes de jeunes ».
Entre temps, au Sénat, protégé par le dispositif d’une Garde Républicaine surarmée, l’adoption de la loi anticonstitutionnelle, tarde à passer.