28/06/2016

Les arrestations de collégiens et lycéens dans l’affaire des « gribouillis » se poursuivent par les forces spéciales
Pour avoir griffonné le visuel du président dans les manuels scolaires, des étudiants de huit à dix-huit ans sont suspendus des cours, emprisonnés et, dans certains cas, torturés. Le sort qui leur est réservé, dans un pays où le régime pratique l’assassinat, les rafles et les disparitions forcées contre l’opposition, ne semble pas émouvoir les ténors de la diplomatie régionale et internationale. Un silence complice face à un pouvoir hanté par le culte de la personnalité du chef et en pleine déliquescence morale, dont témoigne aussi le trafic de jeunes filles vendues comme esclaves dans les pays du Golfe.

26 / 06 / 2016
Cinq filles et un garçon ont été arrêtés entre vendredi 24 au soir et samedi matin à Gihanga, dans l’ouest du Burundi, et transférés au cachot de la police à Bubanza. Ces élèves du lycée communal sont retenus coupables d’avoir griffonné les photos du président Pierre Nkurunziza dans les manuels scolaires. Une accusation difficile à prouver, car aucun écolier ne possède son propre texte, avec un pourcentage d’un manuel pour dix étudiants dans chaque établissement. Ce qui agace les autorités, qui essayent d’estoquer les noms des petits « artistes  » responsables des caricatures avec des maltraitances proches de la torture.
Le jour avant, trois élèves inscrits à l’École fondamentale de Munanira, dans la commune de Gihogazi (province de Karusi, centre-est) ont été incarcérés pour les mêmes raisons, tout comme quatre de leurs collègues de Buhiga, détenus au commissariat provincial depuis une dizaine de jours. Visiblement, l’âge des jeunes poursuivis ne pose pas de problèmes aux forces de sécurité qui, le mardi 23 juin, ont appréhendé et jeté en prison à Muhinga deux enfants de l’école élémentaire de Kavungagoma. Ä Buyangero, dans la province de Rumonge (sud), deux lycéens de Muzenga en état de détention ont été auditionnés devant le parquet. 
Malgré ces mesures inhumaines et disproportionnées, ce véritable mouvement de contestation du pouvoir s’étend au lieu de fléchir. Au lycée de Cankuzo, les élèves refusent de passer les examens et exigent la libération de leurs camarades arrêtés.
Face à un groupe dirigeant qui, depuis l’élection inconstitutionnelle de Pierre Nkurunziza à un 3e mandat il y a un an, frappe toute opposition avec les méthodes les plus brutales (massacre de décembre 2015, rafles, tortures, disparitions forcées, emprisonnement de journalistes et fermeture des radios), le courage de ces jeunes de huit à dix-huit ans étonne autant que le silence de ladite ’’communauté internationale’’ et des agences onusiennes (Unicef, Bureau conjoint des droits de l’Homme…) face à la répression dont ils sont les victimes. La diplomatie internationale et régionale ne bronche pas et continue à soutenir dans les faits un régime responsable de crimes contre l’humanité et de violations de droits de l’homme.
On se demande également les raisons d’un tel acharnement de la part des autorités de Bujumbura, d’une réaction si virulente contre la manifestation d’une critique, certes massive, mais qui se limite à l’ironie et à la désacralisation. Comme si le pouvoir se sentait ébranlé par un crime de lèse-majesté d’un chef qui aime se référer aux « sources divines » de sa mandature et notamment de son 3e mandat, pourtant illégal selon la Constitution et les accords internationaux d’Arusha. Emmanuel Niyungeko, thuriféraire du régime et gouverneur de Muramvya, l’un des épicentres de « la contestation des gribouillis », a ténu à préciser que « le roi n’est second qu’à Dieu ». De là à une punition collective contre les jeunes téméraires, blasphèmes d’un souverain de droit divin, le seuil a été vite franchi depuis le début de cette lutte estudiantine singulière, révolte emblématique contre un despote honni.
Elle a démarré dans la deuxième quinzaine de mai dans le sud de Bujumbura. Les prétendus auteurs des actes de griffonnage ont été rapidement sanctionnés pour « outrage au chef de l’État », délit passible de cinq à dix ans d’enfermement, et trois cent parmi eux ont été expulsés de leur établissement. Quand le mouvement a explosé à Muramvya, la répression est passée à la vitesse supérieure et les élèves ont connu les cellules sinistres de la prison centrale. Dans l’espace de quelques jours, des dizaines d’écoliers se sont retrouvés dans les geôles du régime et, pendant un rassemblement de solidarité avec les étudiants arrêtés, la police à tiré sur le cortège. Bilan : un mort et plusieurs blessés.
Puis, les services de renseignement et la tristement célèbre milice Imbonerakure sont entrés dans le jeu : écoles encerclées, interrogatoires musclés, terreur psychologique, sévices corporels. Rien n’a été épargné contre les responsables présumés des « desseins sataniques », où l’on voyait Pierre Nkurunziza avec des cornes, des pustules sur le visage, ou avec la tête d’un démon aux yeux injectés de sang : « Chez nous, on dit que la vérité sort de la bouche des enfants », a écrit sur son compte twitter l’activiste burundais des droits de l’homme Pacifique Nininahazwe.
Ruziba, Muramvya, Gihanga, Cankuzo, Buhiga, Ruhinga, Kayogoro… le mouvement fait tâche d’huile dans l’ensemble du pays et les autorités ne semblent pas en mesure de stopper cette déferlante de « délinquants qui font offense au chef de l’État ».
Entre temps, un nouveau scandale témoigne de l’abîme dans lequel les Burundais se précipitent sous la férule d’une sorte de monarchie aux relents mystico-religieux. Mi-juin, un trafic est découvert de jeunes filles recrutées par les dirigeants du parti du président, le CNDD-FDD, et vendues en esclaves dans les pays du Golfe arabo-persique. On voit dans les réseaux sociaux la vidéo de l’une de ces malheureuses qui supplie ses geôliers de la laisser rentrer au pays. Mais la conscience du « Roi » est sereine. Lors du congres de son parti, dans son fief de Ngozi, Pierre Nkurunziza a affirmé : « Dieu est de notre côté, Dieu est dans notre camp. Notre ennemi n’arrivera à rien car celui qui me combat, combat Dieu ». 

Luigi Elongui 
 

Ces informations sont tirées notamment des comptes twitter de Teddy Mazina, Pacifique Nininahazwe et de SOS Burundi.

Mis en ligne par L’Agence d’information
 28/06/2016
 http://www.lagencedinformation.com/103-burundi-la-revolte-des-enfants.html
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