RDC : La communication est une arme de guerre (1)

23/07/2020
23/07/2020

L’action psychologique et la manipulation sont au centre de la stratégie de l’insécurité et de la violence contre les civils, que le régime intensifie sur l’arc oriental du pays

Dans son dernier rapport du 15 juillet intitulé République démocratique du Congo : en finir avec la violence cyclique en Ituri, l’Ong International Crisis Group (ICG) affirme :

« Certains membres de l’ancien mouvement rebelle M23 installés en Ouganda seraient, selon les services de sécurité congolais… impliqués dans les violences actuelles en Ituri. En décembre 2017, lorsque débutent les violences dans la province, des éléments armés – que les autorités congolaises désignent comme membres de l’ancien M23 – se seraient infiltrés de la région de Kamango… Les déplacements d’anciens membres du M23 de l’Ouganda vers les territoires d’Aru et de Djugu en Ituri en 2018 par la frontière ougandaise sont confirmés par des responsables de sécurité congolais…  »

Deux jours après, Bertrand Bisimwa, président de l’ancienne rébellion, signe, depuis Kampala, un communiqué dans lequel on lit, parmi les autres déclarations :

« La majorité de nos ex-combattants conduits par le Général Sultani Makenga sont en position inoffensive sur le sol congolais, dans le territoire de RUTSHURU au Nord-Kivu depuis 2017 où ils attendent impatiemment la mise en œuvre des engagements de Nairobi. D’autres sont toujours cantonnés à Kibungo au Rwanda et à Bihanga en Ouganda sous la surveillance de ces pays frères.

Des listes des ex-combattants du M23 avaient été établies lors de notre entrée sur les territoires rwandais et ougandais et sont régulièrement mises à jour et partagées avec le gouvernement congolais en fonction des différentes phases du rapatriement unilatéral organisé par le Gouvernement congolais depuis 2014.

Les ex-combattants ainsi rapatriés à l’insu de la Direction du M23 ne peuvent plus être assimilés au M23 moins encore les actes qu’ils poseraient sur le territoire congolais.

Seul le gouvernement congolais serait responsable. Nous dénonçons les pratiques d’un autre âge employées par les services congolais de renseignement qui ont comme objectif de plomber le processus de paix et d’entretenir leur abreuvoir que représente l’instabilité dans l’Est du pays.

En effet, ces pratiques consistent à distiller des informations sulfureuses au sein de l’opinion à travers des ONG par des personnes se présentant soit comme des victimes d’un conflit soit comme des simples renseignant pour livrer à ces ONG des informations dites crédibles ne nécessitant plus une quelconque vérification.

Les ONG devraient faire très attention à cette manipulation qui les désabuse et qui se nourrit de leur légèreté dans le traitement des informations d’une telle ampleur.

Elles devraient étendre leurs enquêtes au-delà des simples témoignages pour les confronter aux réalités du terrain et éviter ainsi de se mettre au service d’une stratégie de pérennisation des conflits conçue par ceux-là mêmes qui tirent leurs dividendes sur le sang des congolais. »

Le communiqué du M23 a été largement repris par les médias nationaux et locaux (Politico CD, Coonexion, Congosynthèse…).

Ajoutons qu’existe, depuis l’époque des rébellions de l’Est de la RDC, un organisme de contrôle institué par la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL), l’Expanded Joint Verification Mechanism (EJVM), doté d’une structure spéciale de renseignement déployée en observation des lignes frontalières entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda, le Joint Intelligence Fusion Centre (JIFC), auquel des mouvements éventuels d’hommes en armes entre ces trois pays n’auraient pas pu échapper.

En service commandé

Les doutes sont ainsi légitimes sur la nature et les motivations du rapport d’ICG.

Est-il le fruit d’une analyse et d’un travail de recherche sur le terrain préconisant la paix en Ituri, ou plutôt une opération de communication en service commandé et inspirée, comme le rédacteur du texte l’admet, par les renseignements congolais (ex-Démiap, Anr) ?

Ceux-là même, dont on a connu les implications dans les affaires troubles de la république, comme dans l’assassinat, en 2017, des deux experts des NU venus enquêter au Kasaï sur les massacres de civils par les forces spéciales de l’Armée (FARDC) ?

Et comment se fait-il que le rapport ne dise pas un seul mot sur les nombreux doutes et réserves, exprimés depuis trois ans, par des associations de la société civile et des autorités religieuses locales, sur la vraie nature des groupes armés responsables des atrocités et qui seraient manipulés et organisés par une « main noire » depuis Kinshasa ?

Une source locale proche du dossier fait également part de ses perplexités :

« Le récit contextuel préliminaire est sujet à caution. J’encourage les auteurs à rencontrer les vrais acteurs, les insiders, et non des commentateurs. Dès la première page, il est dit que le gouverneur Abdallah était Lendu de Djugu alors qu’il est Mungwana de Mambasa. Il est dit que les Hema et les Lendu sont les deux principales tribus de l’Ituri. Faux. Elles sont deux des principales tribus, les plus nombreux étant les Alurs. »

Bref, un rapport bâclé, fruit d’une connaissance sommaire et, surtout, orienté.

Fausses rébellions et diabolisation

Depuis des années, les membres des services de renseignements congolais, en uniforme et civils, agissent en mode conforme aux théories militaires de pointe, en mettant au centre de ces corpus doctrinaux la communication et la propagande. Une démarche propre des techniques de la contre-insurrection et de son pendant de l’action psychologique qui vise les populations davantage qu’un ennemi armé. Il en est le cas dans l’arc oriental du pays : à Beni, en Ituri et dans les hauts plateaux de Fizi, où l’on compte les nombreuses victimes parmi les civils.

Cette stratégie de « maintien de l’ordre politique », à savoir du régime en place, s’applique à deux niveaux. D’une part, avec la création de rébellions fausses ou téléguidées, chargées de terroriser les populations (les Adf à Beni et la CODECO in Ituri) et, de l’autre, avec la diabolisation (ou l’indication du bouc-émissaire), en cas de mouvements de résistance qui défient le pouvoir (le CNDP/M23 entre 2003 et ’13, et encore aujourd’hui, et les groupes banyamulenge à l’heure actuelle).

Dans les deux cas de figure, la communication joue un rôle centrale, véritable arme de guerre vouée à l’assujettissement et au contrôle de la masse, déniée ainsi de son rôle d’acteur publique. Des modalités de désinformation sont établies à partir d’une narration officielle servant de dissimulateur des vraies forces qui agissent dans l’opacité.

Le mythe de la balkanisation

Dans le théâtre d’opérations de Beni, par exemple, le story-telling officiel de la rébellion islamiste ougandaise des Adf doit couvrir l’action des officiers de l’ombre opérant au sein des FARDC et qui font exécuter les massacres. En ce qui concerne le M23 ou les Banyamulenge, le grand récit des autorités exploite la fibre nationaliste congolaise et le sentiment rwandophobe qui lui fait de corollaire, pour les présenter comme une milice de Kigali le premier, ou des envahisseurs étrangers, les autres. Les deux au service du Rwanda en tout cas, motivés par des desseins obscurs de balkanisation du pays.

Ces jours-ci par ailleurs, les officines occultes essaient de mettre en scène des combats fictifs avec le M23. L’ong Kivu Security Track est mis à contribution et tweete, en date 21 juillet :

« Une position des FARDC a été attaquée par les rebelles du M23 ce matin à Bikenke (territoire de Rutshuru, Nord-Kivu). Au moins 3 soldats FARDC ont été tués et 1 a été blessé ». Selon une source proche de l’ex-rébellion, « les tirs entendus sont une simulation d’affrontements pour inviter le M23 à prendre le contrôle des espaces pour offrir de prétexte à une guerre stupide et inutile.  »

Quoi qu’il en soit, les stratèges du renseignement et de la dissimulation doivet mettre au pas acteurs politiques et de la société, analystes et opérateurs des médias.

Le journalisme embedded se développe et les tink-thanks suivent.

Comme International Crisis Group…

Luigi Elongui
maelezokongo.com
(22/07/2020)

La communication est une arme de guerre (1). Est de la RDC : Le jeu d’International Crisis Group et le M23
Publié le 22 juillet 2020 par Luigi Elongui
maelezokongo.com

Illustration : Les déplacés de l’Ituri, maelezokongo.com

Mis en ligne par L’Agence d’information
 23/07/2020
 http://www.lagencedinformation.com/127-rdc-la-communication-est-une-arme.html
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Rappelons, Monsieur le Président, que cette répression intervient moins d’un an après l’ouverture, en juillet, d’un centre de formation pour les hauts gradés de l’armée rdcongolaise, formation aux techniques de contre-insurrection assurée par des instructeurs français.

Depuis plusieurs années, dans ce pays ravagé par la misère, on a pu voir l’action délétère du général Baillaud, instrumentalisant diverses milices et bandes armées à seule fin de déstabilisation, ceci prenant des proportions effrayantes, d’abord au Kivu, et maintenant au Kasaï, où les sbires de Kabila ne reculent devant aucun des sales procédés de la « guerre révolutionnaire » chère à l’armée française depuis les années 50.

Nous demandons ici solennellement le rappel du général Baillaud, ainsi que la fermeture immédiate de cette école militaire criminelle ouverte à Kinshasa sous votre responsabilité.

Nous dénonçons aussi le fait que la France – et l’Espagne [1] – aient osé bloquer toute protestation européenne, de même que la France paralyse l’ONU sur ce dossier depuis bien longtemps.

Nous demandons que la France renonce à sa fonction de « penholder » [2] au Conseil de sécurité, et rappelle au besoin son ambassadeur auprès de cet organisme, afin de permettre à la communauté internationale de regarder la situation plus impartialement.

L’Agence d’Information
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Mis en ligne par L’Agence d’information

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